En continuant ce chemin
toujours la mer à sa droite
on rencontre l’embouchure
du petit fleuve frontière
le pont franchi on se trouve
dans un pays où l’on parle
une langue d’autrefois
On sait qu’elle était parlée
depuis plus longtemps qu’aucune
autre langue européenne
avant l’invasion des celtes
avant l’empire romain
l’inondation germanique
les arabes ou les huns
On la parle encore un peu
de ce côté-ci du fleuve
jadis c’était interdit
on voulait centraliser
mais la globalisation
a changé les stratégies
des gouvernements en place
On est déjà en Espagne
avec ses architectures
la langue de Cervantès
le vin qu’adorait Falstaff
on reconnaît les étapes
des pèlerins vénérant
Saint Jacques de Compostelle
Si l’on continue encore
par montagnes et vallées
on arrive au Portugal
avec les azulejos
nouvelle route des Indes
par la pointe de l’Afrique
et conquête du Brésil
Et de nouveau la frontière
pour parvenir jusqu’aux ports
d’où un gênois obstiné
féru de Marco Polo
est parti pour le Japon
sans pouvoir y parvenir
empêché par l’Amérique
Un rocher se dresse enfin
avec un drapeau britannique
si l’on franchit le détroit
voici le luth andalou
si l’on continue encore
c’est la méditerranée
que l’on maintient à sa droite
Michel BUTOR ( né 1926 )